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2024-11-19 23:50:42 +01:00

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StratĂ©gie de mitigation de l’accident de fusion du cƓur sur l’EPR.

J’imagine si vous avez cliquĂ© sur cet article, vous savez que l’EPR de Flamanville vient de “diverger” ( nota: article Ă©crit en septembre 2024 ). Autrement dit la rĂ©action en chaĂźne a Ă©tĂ©, et pour la premiĂšre fois dans son cƓur, auto-entretenue, permettant un Ă©quilibre neutronique.

Ce fameux EPR prĂ©sente de grandes avancĂ©es en sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, toujours afin de limiter les rejets dans l’environnement en cas d’accident. Alors aujourd’hui, l’accident grave! On va parler de corium , de rĂ©cupĂ©rateur Ă  corium ( core catcher ), de stratĂ©gie de mitigation et de codes de calcul. Ce que je souhaite faire avec cet article c’est vous expliquer en premier lieu la physique d’une fusion du cƓur et ensuite la modĂ©lisation qui y est associĂ©e.

Mais alors, comment les ingĂ©nieurs en sĂ»retĂ© nuclĂ©aire ont-ils rĂ©ussi Ă  gĂ©rer une substance bien pire que la lave ? Le corium, un magma Ă  faire pĂąlir HadĂšs, autochauffant, ultra corrosif, Ă  trĂšs haute tempĂ©rature, ne laissant aucune chance Ă  la plupart des matĂ©riaux qu’il rencontre. Possiblement la pire substance artificielle jamais fabriquĂ©e sur cette Terre (avec les agents neurotoxiques)


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La lave est une substance similaire au corium sur beaucoup d’aspects, mais le corium est
 encore pire.

Les rĂ©acteurs de gĂ©nĂ©ration III, comme l’EPR (ou l’EPR2), prennent en compte la gestion des accidents graves dĂšs la conception. Je vais donc vous expliquer comment la stratĂ©gie de mitigation des accidents graves est conçue sur le rĂ©acteur EPR (notez que ce sera vraisemblablement la mĂȘme sur EPR2, qui est une optimisation de l’EPR).

L’accident grave de rĂ©fĂ©rence sur un rĂ©acteur Ă  eau, est la fusion du cƓur. Un Ă©vĂšnement (une brĂšche par exemple), a pour consĂ©quence directe un combustible qui n’est plus sous eau, donc plus refroidit, et il commence Ă  chauffer, jusqu’à fondre. C’est ce qui s’est passĂ© Ă  Fukushima et Three Miles Island (fusion partielle), occasionnant des rejets dans l’environnement.

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EPR de Flamanville. Crédit: Framatome

Avant de commencer, un rappel sur les trois barriĂšres de confinement. Dans la suite de l’article, la 1Ăšre et la 2Ăšme barriĂšre vont cĂ©der, et l’objectif sera de prĂ©server la troisiĂšme, afin d’éviter des rejets Ă  l’extĂ©rieur.

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Crédit: EDF

I/ PhĂ©nomĂ©nologie d’un accident grave sur EPR

I.1/ DĂ©gradation du cƓur

Le soleil se lĂšve sur le site de Flamanville. Le vent souffle sur les plaines de la Bretag .. euh de la Normandie. Le rĂ©acteur EPR de Flamanville est Ă  pleine puissance (1600MWe, ça envoie). Une bien belle journĂ©e. Et lĂ , une Ă©norme brĂšche sur le circuit primaire! On appelle ça un APRP ( Accident de Perte du RĂ©frigĂ©rant Primaire). Rien ne marche, ni refroidissement, ni Ă©lectricitĂ©, le primaire se vide inexorablement. Il y a de moins en moins d’eau autour des crayons combustible, cf. (2) du schĂ©ma ci-dessous. Les gaines du combustible commencent Ă  s’oxyder. C’est trĂšs exothermique, donc le combustible chauffe fort (oxydation zirconium + hafnium principalement), on produit de la vapeur d’eau et du dihydrogĂšne. Le combustible et sa gaine fondent, alors que le niveau d’eau continue Ă  baisser. Cette mixture infernale, au-delĂ  des 2400°C, contenant le combustible, la gaine, l’acier des structures et autres joyeusetĂ©s, est appelĂ©e un corium .

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Conditions initiales [1], cƓur dĂ©noyĂ© partiellement [2], cƓur dĂ©noyĂ© fusion en cours [3]. CrĂ©dit: IRSN

Bon, je vais aller vite. Maintenant le cƓur a fondu intĂ©gralement et il est dans le fond de cuve. Commence alors une sĂ©rie de phĂ©nomĂšnes dans le corium qui vont venir attaquer l’acier de la cuve (pour les curieux, la cuve est en acier 16MND5, un acier de compĂ©tition, merci le RCC-M). La brĂšche a mis de l’eau dans l’enceinte et on a produit du dihydrogĂšne pendant l’accident.

Maintenant on va se donner trois contraintes supplĂ©mentaires, pour prĂ©server l’enceinte de confinement, et garder toutes les saletĂ©s Ă  l’intĂ©rieur, parce qu’on ne veut pas de rejets atmosphĂ©riques !

  1. On veut contrĂŽler l’échauffement dans l’enceinte.

Pour ne pas chauffer l’enceinte il y a deux choses. DĂ©jĂ , on ne veut pas que la cuve perce Ă  haute pression, sinon le corium est Ă©talĂ© façon spray (sans rire), et vient attaquer l’enceinte. Et pour Ă©viter une percĂ©e de la cuve Ă  haute pression (supĂ©rieure Ă  15 bar), il faut dĂ©pressuriser la cuve, avec une soupape ultime (comme sur votre cocotte minute). Vous constaterez que la vanne dĂ©diĂ©e Ă  la gestion en AG est redondĂ©e, ce qui permet de diminuer la probabilitĂ© de dĂ©faillance de cette ligne de dĂ©pressurisation.

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Crédit: IRSN

Ensuite il faut contrĂŽler la puissance thermique dans l’enceinte, c’est le systĂšme EVU (Evacuation Ultime de la puissance dans l’enceinte). Cela consiste simplement Ă  asperger de l’eau froide Ă  l’intĂ©rieur de l’enceinte. Une douche pour rĂ©acteur nuclĂ©aire. Cela sert aussi Ă  faire retomber les radionuclĂ©ides volatils dans l’enceinte.

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Crédit: EDF

2\. On ne veut pas d’explosion hydrogùne (type Fukushima) dans l’enceinte.

Dans l’enceinte il y a de l’air, de la vapeur d’eau, et maintenant de l’H2. Pour Ă©viter l’explosion hydrogĂšne, il faut consommer l’H2, afin de sortir des zones colorĂ©es du diagramme de Saphiro (ci-dessous). C’est le principe des recombineurs autocatalytiques passifs Ă  hydrogĂšne, qui comme leur nom l’indique, n’ont pas besoin d’électricitĂ© pour fonctionner.

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Recombineur autocatalytique passif Ă  dihydrogĂšne.

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Diagramme de Saphiro

3\. On ne veut pas d’explosion de vapeur dans l’enceinte.

L’eau liquide dans l’enceinte ne doit pas toucher le corium, sous peine d’une explosion de vapeur. Pour ça, c’est simple il faut sĂ©parer les deux.

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SĂ©paration de l’eau et du core catcher.

Maintenant qu’on a nos systĂšmes pour protĂ©ger l’enceinte, il est temps de pĂ©ter la cuve. Je ne vais pas dĂ©tailler les phĂ©nomĂšnes favorables qui permettent de maintenir la tenue mĂ©canique de la cuve. On postule que sous l’effet des contraintes mĂ©caniques (dĂ©formation) et des flux thermiques du corium (fluage), la cuve finit par se briser. Je dis « on postule » car ce n’est pas systĂ©matiquement l’approche retenue.

Il y a plusieurs configurations possibles du corium en fond de cuve. Ce qu’on observe est une stratification du corium entre la couche d’oxyde et celle de mĂ©tal lĂ©ger. L’intuition amĂšne Ă  penser que la haute tempĂ©rature du corium vient ablater la cuve. Cela est vrai au-delĂ  de 2700°C, mais en dessous une croĂ»te se forme en paroi, limitant les Ă©changes thermiques. En revanche, la couche de mĂ©tal lĂ©ger trĂšs chaude reçoit de l’énergie de la couche d’oxyde, et transmet l’énergie Ă  la face interne de la cuve, sur une faible surface relative “ focusing effect” . Elle est, d’aprĂšs les expĂ©riences, la couche responsable de la rupture de la cuve.

Je prĂ©cise que c’est l’approche pĂ©nalisante retenue, la façon dont cela arrive nous intĂ©resse assez peu ici car on part du principe que la cuve va rompre. L’étude des corium comporte son lot d’incertitudes et les expĂ©riences reprĂ©sentatives sont complexes Ă  rĂ©aliser.

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Stratification du corium en fond de cuve possible.

D’autres pays estiment qu’ils peuvent maintenir le corium dans la cuve. On ne distingue finalement que deux approches :

  • RĂ©tention du corium en cuve ( In Vessel Retention, IVR) associĂ© Ă  des moyens de rĂ©frigĂ©ration externe de la cuve (type External Reactor Vessel Cooling , ERVC). Retenue sur AP1000 et APR1400.
  • RĂ©tention du corium hors cuve. Retenue sur EPR/EPR2 , et les VVER-1200 rĂ©cents.

I.2/ L’interaction corium bĂ©ton

On a désormais notre corium chaud qui tombe dans le fond du bùtiment réacteur. On arrive bientÎt au core catcher , patience !

Une fois tombĂ©, il arrive sur un bĂ©ton dit « sacrificiel ». Ce bĂ©ton a vocation Ă  ĂȘtre abaltĂ© par le corium pour modifier les propriĂ©tĂ©s physico-chimiques du corium. Durant cette phase, le corium Ă©rode ce bĂ©ton sur environ 50 cm d’épaisseur avant de couler dans le canal de dĂ©charge qui relie le puits de cuve Ă  « la chambre d’étalement ». Les mouvements convectifs au sein du corium mĂ©langent le bĂ©ton et le corium, le rendant plus fluide, plus homogĂšne et moins visqueux afin de faciliter son Ă©coulement par la suite. Si plusieurs coulĂ©es successives de corium surviennent, elles convergent toutes dans ce bĂ©ton de maniĂšre Ă  obtenir un corium homogĂšne et un seul Ă©coulement vers la chambre d’étalement. On appelle ça l’interation corium bĂ©ton (ICB).

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Crédit: IRSN

ICB.

Une fois que le corium a ablatĂ© sur toute une Ă©paisseur, il faut maintenir la structure de l’enceinte en Ă©tat, et on installe donc sous cette couche de bĂ©ton sacrificiel des matĂ©riaux rĂ©fractaires (qui rĂ©sistent Ă  des trĂšs hautes tempĂ©ratures avec une faible dĂ©formation relative). Cette couche est appelĂ©e la zircone (ZETTRAL-95GR), et mesure de 10 Ă  14 cm d’épaisseur.

Une fois que le bĂ©ton est ablatĂ© complĂštement dans le sens vertical, le corium arrive sur un bouchon de mĂ©tal, c’est un composant dont le rĂŽle est celui d’un fusible. Il est la derniĂšre Ă©tape avant le canal de dĂ©charge. Ce fusible est conçu pour se rompre relativement rapidement au contact du corium en assurant une section de passage suffisamment large pour permettre une coulĂ©e rapide de la totalitĂ© du corium vers la chambre d’étalement.

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Schéma complet du core catcher. Crédit: IRSN.

La composition chimique du bĂ©ton est trĂšs importante car l’ablation va gĂ©nĂ©rer des gaz incondensables qui peuvent faire monter la pression dans l’enceinte. C’est le cas du CO2 issu de la calcination du calcaire, par exemple. Ainsi sur EPR, la procĂ©dure U5 a Ă©tĂ© abandonnĂ©e grĂące Ă  une fiabilisation de l’ICB. Sur le parc, cette procĂ©dure permet de dĂ©pressuriser l’enceinte en expulsant Ă  l’atmosphĂšre une partie des gaz prĂ©alablement nettoyĂ©s dans un filtre sable.

Note: En principe, les chargements mĂ©caniques de l’enceinte sont limitĂ©s par conception. Mais il est possible qu’il y ait des rejets trĂšs minimes malgrĂ© tout sur EPR.

I.3/ Interaction corium zircone

Cette partie sera assez simple, puisque l’objectif est de faire interagir le moins longtemps possible le corium avec la zircone. La zircone est ce qu’on appelle un matĂ©riau rĂ©fractaire Ă  la chaleur . C’est-Ă -dire qu’il ne fond pas, et se dĂ©forme relativement peu, mĂȘme Ă  des hautes tempĂ©ratures (infĂ©rieures Ă  environ 1700°C, tout dĂ©pend du matĂ©riau).

Une fois que le bouchon fusible a rompu, il faut emmener le corium jusque dans la chambre d’étalement le plus vite possible . A noter, la zircone a une forte inertie thermique, ce qui nous arrange pour ne pas dĂ©grader outre mesure le bĂątiment rĂ©acteur par contact prolongĂ©, mĂȘme si ce n’est pas censĂ© arriver (toujours prendre des marges). Ainsi, une conduite entiĂšrement tapissĂ© en briques de zircone remplit ce rĂŽle d’évacuation rapide du corium. C’est un tuyau d’évacuation pour corium.

I.4/ Corium dans la chambre d’étalement

Cette étape, la derniÚre, consiste à neutraliser le corium une bonne fois pour toute.

  • une gĂ©omĂ©trie empĂȘchant le retour en criticitĂ© (dĂ©jĂ  rendu complexe par la dilution dans le bĂ©ton sacrificiel),
  • un systĂšme pour refroidir le corium par-dessous et par-dessus.

Le corium arrive dans la chambre d’étalement qui a une surface d’environ 170 m2. Le corium chaud, en coulant dans la conduite d’évacuation va couper un fil, ce qui dĂ©clenche l’ouverture d’une trappe ouvrant une arrivĂ©e d’eau gravitaire d’eau provenant du rĂ©servoir IRWST ( In containment Refueling Water System Tank ). Ce systĂšme est intĂ©gralement passif, ni Ă©lectricitĂ©, ni intervention humaine nĂ©cessaire. Cette eau commence par remplir les canaux horizontaux situĂ©s sous la chambre d’étalement. Les Ă©lĂ©ments du plancher contiennent des canaux de refroidissement horizontaux de sections rectangulaires. L’intĂ©rieur de la chambre d’étalement est recouvert d’une couche de bĂ©ton sacrificiel qui a la mĂȘme fonction que le bĂ©ton du puits de cuve, mais cette fois-ci il sert aussi Ă  protĂ©ger temporairement la couche protectrice.

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Chambre d’étalement. CrĂ©dit: IRSN.

Le corium va s’étaler dans cette chambre. C’est de la physique complexe (que je ne vais pas dĂ©tailler ici). Cet Ă©talement est pilotĂ© par la compĂ©tition entre les forces hydrodynamiques et les changements de viscositĂ© du corium (rhĂ©ologie) dus Ă  son refroidissement. La gĂ©omĂ©trie de cette chambre d’étalement est conçue pour optimiser l’étalement, et ainsi limiter l’épaisseur du corium, le rendant sous-critique et le prĂ©parant au renoyage en surface par-dessus.

L’eau, froide donc, arrivant gravitairement de l’IRWST, vient noyer le corium trĂšs chaud, donc il y a crĂ©ation de vapeur (beaucoup de vapeur) sur les premiers instants du noyage. Cette vapeur est recondensĂ©e par le systĂšme EVU (la Force d’Action Rapide NuclĂ©aire -FARN- est capable d’alimenter ce circuit depuis qu’elle est prĂ©venue de l’accident grave).

Une fois que la croĂ»te se forme en surface du corium, il y a une vaporisation trĂšs limitĂ©e, et une fois le niveau d’eau atteint suffisant, le corium est dĂ©finitivement stabilisĂ©.

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SchĂ©ma d’un angle de la chambre d’étalement du corium. CrĂ©dit: IRSN.

Pour conclure cette partie, une vidĂ©o de prĂ©sentation du core catcher de l’EPR de Flamanville.

Présentation de la construction du core catcher par EDF.

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Chambre d’étalement terminĂ©e sur l’EPR FA3. CrĂ©dit: EDF-EPR sur X.

II/ ModĂ©lisation d’un accident grave

On ne peut pas faire une expĂ©rience avec les mĂȘmes conditions qu’un rĂ©acteur nuclĂ©aire, pour des raisons Ă©conomiques, techniques et rĂ©glementaires. Alors on simule ça dans des codes de calcul. Un code de calcul ce sont des choix de modĂ©lisations, des incertitudes et donc ça se valide , sinon ça ne vaut pas grand-chose.

Et ça se valide avec des expĂ©riences ! Les ingĂ©nieurs ne sont pas toujours derriĂšre un ordinateur, l’approche empirique est indispensable ! Mais tu viens de dire qu’on ne faisait pas d’expĂ©riences rĂ©alistes ? Et oui, car on Ă©tudie chaque phase d’un accident grave sĂ©parĂ©ment. Voyez ça comme des images qu’on imbrique entre elles. A la fin, l’ensemble des images forment un film, qui modĂ©lise un accident grave intĂ©gralement, ce qui permet in fine de contourner l’obstacle que reprĂ©sente l’impossibilitĂ© d’une expĂ©rience rĂ©aliste. Et comment on rĂ©alise ce film ? Avec un code de calcul intĂ©gral !

PrĂ©sentation d’ASTEC

ASTEC, pour Accident Source Term Evaluation Code , est dĂ©veloppĂ© par l’ Institut de Radioprotection de de SĂ»retĂ© NuclĂ©aire, l’IRSN. C’est un code dit « intĂ©gral» c’est-Ă -dire qu’il simule toutes les Ă©tapes d’un accident grave. Cela comprend:

  • La thermohydraulique du circuit : module CESAR, proche du code de rĂ©fĂ©rence en thermohydraulique CATHARE, dĂ©veloppĂ© par le Comissarait Ă  l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives (CEA) ;
  • La dĂ©gradation du cƓur : module ICARE ;
  • L’interaction corium bĂ©ton : module MEDICIS ;
  • La chimie, la physique, le transport des gaz, aĂ©rosols et des produits de fission dans l’enceinte : modules SOPHAEROS, ISODOP, COVI ;
  • Les systĂšmes de suretĂ© : module SYSINT ;
  • La thermohydraulique de l’enceinte : module CPA ;
  • Le comportement des produits de fission : module ELSA ;
  • L’évaluation des doses : module DOSE.

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Les diffĂ©rents modules d’ASTEC. CrĂ©dit: IRSN.

Vous trouverez plus d’infos sur : https://www.irsn.fr/recherche/systeme-logiciels-astec. Voici Ă©galement une courte prĂ©sentation vidĂ©o du code ASTEC, qui est dĂ©sormais un code de rĂ©fĂ©rence en Europe sur les accidents graves des REP.

PrĂ©sentation vidĂ©o d’ASTEC

Un code intégral doit répondre aux exigences suivantes :

\- Calculer de façon exhaustive les phĂ©nomĂšnes physiques intervenant lors d’un accident de fusion du cƓur, en maintenant un compromis temps de calcul/prĂ©cision ;

\- simuler le comportement des principaux systĂšmes de sĂ»retĂ© du rĂ©acteur, afin de se placer dans des conditions similaires Ă  celles d’un rĂ©acteur en accidentel, et tester diffĂ©rents scĂ©narios de disponibilitĂ©s des systĂšmes ;

\- traiter complĂštement les couplages entre phĂ©nomĂšnes, par exemple le refroidissement du corium dans le puits de cuve, en cours d’interaction corium-bĂ©ton, par rayonnement et par convection dans l’enceinte de confinement ;

\- ĂȘtre dĂ©coupĂ© en module indĂ©pendant, pour faciliter notamment les comparaisons avec des rĂ©sultats expĂ©rimentaux et ainsi valider les modules ;

\- Etre rapide malgrĂ© sa grande taille (de 400 000 Ă  500 000 instructions et 1 000 Ă  1 500 sous-programmes). C’est trĂšs important qu’il puisse pouvoir calculer plus vite que le temps rĂ©el, afin de tester un grand nombre de scĂ©narios.

Fonctionnement d’ASTEC

Pour expliquer (trĂšs) rapidement, le logiciel ASTEC a besoin de donnĂ©es d’entrĂ©e, c’est-Ă -dire les gĂ©omĂ©tries, les matĂ©riaux et les conditions physico-chimiques initiales de l’ensemble du rĂ©acteur. Ces donnĂ©es sont fournies par l’ingĂ©nieur d’étude en accident grave.

A chaque pas de temps, ASTEC calcule l’évolution des paramĂštres physiques et chimiques. Dans un code intĂ©gral, il y a une articulation de tous les modules, avec un ordre d’exĂ©cution. On peut activer ou dĂ©sactiver certains, selon le besoin, sachant que le nombre de modules impliquĂ©s augmente le temps de calcul !

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Comment fonctionne ASTEC à chaque pas de temps du calcul. Crédit: IRSN.

In fine, c/e qui intĂ©resse l’ingĂ©nieur en sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, ce sont les post-traitements des variables suivies ! Ci-dessous, un exemple de visualisation du cƓur d’un REP-900MWe d’EDF. Ce que vous voyez est un post-traitement selon le temps des champs de tempĂ©rature. Ce qu’il se passe dans cette sĂ©quence est une dĂ©gradation du cƓur, vous voyez le niveau d’eau baisser progressivement jusqu’à ĂȘtre remplacĂ© par le corium en fond de cuve. Vous constaterez que sur la 3Ăšme image, la cuve a cassĂ© au niveau de la couche de mĂ©tal lĂ©ger, Ă  cause du /focusing effect expliquĂ© en partie I !

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Crédit: IRSN.

Validation d’ASTEC

Comme expliquĂ© plus tĂŽt, un code est une tentative de reprĂ©sentation du rĂ©el, il est donc nĂ©cessaire de le valider par comparaison avec
 et bien le rĂ©el. Notez qu’on peut aussi valider un code en le comparant Ă  des codes dĂ©jĂ  validĂ©s. Par exemple le module thermohydraulique d’ASTEC, CESAR, est validĂ© par comparaison avec le logiciel de rĂ©fĂ©rence CATHARE. Je ne vais pas m’attarder dessus.

Le principe d’une validation empirique c’est de faire une expĂ©rience, de la modĂ©liser dans le code de calcul le plus fidĂšlement possible, et de comparer les rĂ©sultats issus des observations et des capteurs avec la simulation numĂ©rique. On constate souvent des Ă©carts, l’objectif c’est de les rĂ©duire le plus possible tout en Ă©tant capable de dire pourquoi il y a des Ă©carts et combien ils valent. ASTEC (en V2) est validĂ© par un panel d’expĂ©riences assez immense, depuis 1990 et sans arrĂȘt depuis. Cette validation s’appuie sur plus de 160 essais dans le monde entier, en particulier sur les essais PhĂ©bus, cf. https://www.irsn.fr/savoir-comprendre/surete/programme-recherche-phebus-pf-0.

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Exemple de comparaison.

Les essais Phébus constituent une grande base de validation des modules CESAR & ICARE (thermohydraulique et dynamique de dégradation) et SOPHAEROS (comportement des produits de fission).

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Liste des essais Phébus.

Il y a eu plein d’autres validations et l’objectif n’est pas de toutes les lister. Vous trouverez une liste des expĂ©riences menĂ©es sur ce lien: https://www.irsn.fr/recherche/systeme-logiciels-astec#validation

Autre code utilisé en accident grave

ASTEC ne modĂ©lise pas la phase finale dans la chambre d’étalement de l’EPR. Pour cela, des programmes spĂ©cifiques ont Ă©tĂ© menĂ©s Ă  l’international, avec des expĂ©riences passionnantes. L’objectif Ă©tant d’avoir une comprĂ©hension fine du phĂ©nomĂšne d’étalement du corium, de son refroidissement, puis de son noyage. Les logiciels français sont respectivement THEMA (code CEA) qui calcule la cinĂ©tique de solidification du corium (en masse et en croĂ»tes) ainsi que l’érosion du substrat. Et CROCO (code IRSN) qui permet une modĂ©lisation dĂ©taillĂ©e de la convection dans l’écoulement. Un grand nombre d’essais ont Ă©tĂ© menĂ©s, le plus impressionnant Ă©tant l’essai VULCANO, comme montrĂ© ci-dessous.

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Crédit: IRSN.

Il est ressorti de l’ensemble de ces programmes de R&D que l’étalement Ă  sec du corium de REP permet son refroidissement ultĂ©rieur car l’épaisseur de corium atteinte est suffisamment faible. Ainsi, l’approche retenue sur EPR est validĂ©e expĂ©rimentalement. Des incertitudes subsistent sur la capacitĂ© d’une nappe de corium Ă  s’étaler sous eau, c’est pour cela que l’EPR fait le choix d’étaler le corium Ă  sec en sĂ©parant physiquement eau et corium.

Conclusion

VoilĂ  comment on gĂšre un accident grave sur l’EPR. J’ai volontairement Ă©clipsĂ© beaucoup de sujets sur le comportent des produits de fissions dans l’enceinte, sur les diffĂ©rentes possibilitĂ©s de stratification du corium. J’ai aussi fait le choix de focaliser sur l’EPR alors qu’il existe aussi d’autres stratĂ©gies sur les autres rĂ©acteurs du parc de gĂ©nĂ©ration II (Les CP, P4/P’4 et N4). J’ai Ă©galement restreint aux REP français, sans analyser les autres stratĂ©gies Ă©quivalentes sur VVER, AP1000, ou APR1400. Je n’ai pas non plus parlĂ© des filiĂšres Ă  eau lourde (CANDU), bouillantes (BWR, ABWR), rapides (SPX) ou encore des filiĂšres thermiques (HTR & VHTR) et Ă  sels fondus (MSFR). Chaque technologie, prĂ©sente une stratĂ©gie adaptĂ©e. Tous les futurs rĂ©acteurs devront quoiqu’il en soit prendre en compte les accidents graves en compte .

Je vous donne mes sources sur ce lien (attention il n’est valable que 7 jours). Tout est public et trouvable sur le site de l’ASN et/ou de l’IRSN.