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- Bases de sûreté nucléaire
- Situations accidentelles causées par des agressions externes
- Les besoins actuels des réacteurs de Zaporijia
- Conclusion
Prenons un peu de recul sur ce quâil se passe Ă Zaporijia. Il est important de prĂ©ciser certains Ă©lĂ©ments.
La centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine, et ses six VVER-1000/320
La centrale nuclĂ©aire de Zaporijia (ZNPP) est dotĂ©e de six 6 rĂ©acteurs, des VVER-1000 modĂšle V-320, lâĂ©quivalent soviĂ©tique de nos RĂ©acteurs Ă Eau sous Pression (REP en français). Ce sont des rĂ©acteurs de 3000MW thermiques et de 960MW Ă©lectriques nets. Câest la filiĂšre qui a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©e aprĂšs les rĂ©acteurs RBMK (comme le rĂ©acteur responsable de lâaccident de Tchernobyl). Pour bien comprendre tout cela, on va commencer par quelques bases de sĂ»retĂ© nuclĂ©aire, ensuite il faudra regarder quels sont les besoins actuels de la centrale et quelles Ă©volutions sont possibles avec tous ces Ă©lĂ©ments de contexte. Je prĂ©cise que je vais souvent me restreindre Ă la situation actuelle Ă la ZNPP, et que souvent, par manque dâinformations sur les VVER, il faudra faire des analogies avec nos REP français.
Bases de sûreté nucléaire
La sûreté nucléaire
Que signifie sĂ»retĂ© nuclĂ©aire ? Il existe une dĂ©finition, utilisĂ©e par toute lâindustrie nuclĂ©aire française.
La sĂ»retĂ© nuclĂ©aire recouvre lâensemble des dispositions techniques et les mesures dâorganisation prises en vue de prĂ©venir les accidents ou dâen limiter les effets. Elles concernent la conception, la construction, le fonctionnement, lâarrĂȘt et le dĂ©mantĂšlement des installations nuclĂ©aires de base, ainsi que le transport des substances radioactives. la sĂ»retĂ© nuclĂ©aire est une composante de la sĂ©curitĂ© nuclĂ©aire qui comprend, en outre, la radioprotection, la prĂ©vention et la lutte contre les actions de malveillance, ainsi que les actions de sĂ©curitĂ© civile en cas dâaccident. Il sâagit donc Ă la fois :
\-Dâassurer des conditions de fonctionnement normal de lâinstallation sans exposition excessive des travailleurs aux rayonnements ionisants, et sans rejets excessifs de radioactivitĂ© dans lâenvironnement ;
\-De prévenir les incidents et accidents ;
\-En cas dâincidents ou dâaccidents, de limiter les effets sur les travailleurs, les populations et lâenvironnement.
Les trois fonctions de sûreté
Il faut en permanence surveiller les paramÚtres physiques du réacteur. On les appelle les « fonctions de sûreté ». Il y en a trois :
- ContrĂŽler la rĂ©action nuclĂ©aire, Ă©viter lâemballement de la rĂ©action nuclĂ©aire et lâarrĂȘter au plus vite quand cela est nĂ©cessaire,
- ContrÎle de la température du combustible nucléaire (évacuation de la puissance résiduelle), pour éviter une fusion du combustible,
- Confiner les matiĂšres radioactives, grĂące aux trois barriĂšres de confinement
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La défense en profondeur
Le principe de la dĂ©fense en profondeur est une mĂ©thode qui consiste Ă Ă©tablir des barriĂšres pour Ă©viter le passage Ă lâĂ©tape suivante. Si lâĂ©tape 1 Ă©choue, on passe Ă la 2, et ainsi de suite. Câest une norme internationale, les VVER-1000 comme les REPs occidentaux appliquent ce principe.
Regardons chaque point succinctement.
- Prévention.
La conception des rĂ©acteurs est pensĂ©e de façon Ă limiter la probabilitĂ© dâaccident grave (typiquement une fusion du cĆur), les opĂ©rateurs sont formĂ©s longtemps, Ă©valuĂ©s trĂšs frĂ©quemment. La conception dĂ©finie les matĂ©riels nĂ©cessaires au maintien des fonctions de sĂ»retĂ©. Sur lâEPR, on a par exemple 3 branches dâinjection de sĂ©curitĂ© indĂ©pendantes et redondantes pouvant chacune assurer leur fonction de sĂ»retĂ© Ă 100% (il y en a aussi une quatriĂšme quâon suppose en maintenance). Les matĂ©riels sont Ă©galement testĂ©s. Certains matĂ©riels ne seront probablement jamais utilisĂ©s en fonctionnement normal sur tout la vie de la centrale, mais malgrĂ© cela il est important de tester chaque composant pour vĂ©rifier que dans une situation accidentelle Ă©ventuelle, le systĂšme associĂ© serait apte Ă remplir sa fonction de sĂ»retĂ©. ConcrĂštement on teste des pompes dâinjection de sĂ©curitĂ©, on fait des Ă©preuves hydrauliques pour tester la rĂ©sistance du circuit primaire Ă une pression 1.3 fois supĂ©rieure Ă la pression en fonctionnement normal, on entraine les opĂ©rateurs sur des situations incidentelles, etc
2\. Détection et maitrise des accidents.
La dĂ©tection passe par de multiples capteurs (pression, tempĂ©rature, niveau dâeau, niveau de radioactivitĂ©âŠ). Cela implique Ă©galement beaucoup dâautomatismes (trĂšs prĂ©sents sur les EPR&EPR2) pour limiter les erreurs humaines et assurer une rĂ©ponse plus rapide. A titre dâexemple, le systĂšme dâarrĂȘt automatique rĂ©acteur (AAR) est prĂ©sent sur tous les rĂ©acteurs, mĂȘme les plus anciens.
3\. Maitrise des situations accidentelles.
Maitriser une situation incidentelle qui pourrait mener Ă une situation accidentelle. Cela passe concrĂštement par une formation spĂ©cifique en accidentel pour les agents EDF. Les accidents sont classĂ©s en plusieurs familles, typiquement la perte de rĂ©frigĂ©rant primaire (APRP), une rupture tube dans un gĂ©nĂ©rateur de vapeur (RTGV), perte Ă©lectrique totale (PTEA), perte totale dâeau alimentaire (PTAE), rupture dâune tuyauterie dâeau ou de vapeur (RTE/RTV). Plus dâinformations sur les APRP et les RTGV sur cet article de lâIRSN de 2013.
4\. Gestion des accidents graves.
Pour en arriver lĂ , il faut quâon ait ratĂ© toutes les Ă©tapes prĂ©cĂ©dentes, donc on passe en situation de gestion de lâaccident pour en limiter les consĂ©quences, pour Ă©viter toute contamination Ă lâextĂ©rieur. ConcrĂštement, cela passe par des systĂšmes passifs de captation du dihydrogĂšne (un gaz inflammable qui est responsable des explosions des rĂ©acteurs 1,2,4 de Fukushima). Sur EPR, câest un rĂ©cupĂ©rateur de corium (une sorte de magma de combustible, dâacier de cuve et autres produits divers quâon ne veut pas voir sur le gazon). Au niveau humain, cela passe par un plan national de gestion des accidents graves, et au niveau local par lâintervention de la FARN (on y reviendra).
5\. Protection des populations.
La derniĂšre Ă©tape, en cas de rejets prĂ©vus ou ayant dĂ©jĂ eu lieu, il faut Ă©vacuer les personnes les plus proches du site nuclĂ©aire accidentĂ©, pour limiter les consĂ©quences sanitaires. Lâexemple le plus connu est la distribution de pastille dâiodes. lâiode contenu dans ces pastilles se fixe sur la thyroĂŻde pour la saturer et Ă©viter que lâiode radioactif (qui vient directement du coeur) ne vienne sây fixer. Il existe aussi des plans dâĂ©vacuation dans un rayon dĂ©cidĂ© par la prĂ©fecture sur la base des informations techniques donnĂ©es par EDF avec lâappui technique de lâIRSN.
Sur Zaporijia, on se situe Ă la limite entre les points 2 et 3, la situation pouvant Ă©voluer assez rapidement. Pour lâinstant, tout est au point 2, mais cela nĂ©cessite le maintien dâune alimentation Ă©lectrique externe stable.
Les 3 barriĂšres de confinement
Si on parle de confinement, câest celui des matiĂšres radioactives. Elles sont prĂ©sentes dans le cĆur, lĂ oĂč on met le combustible qui va chauffer le fluide primaire. Lâobjectif est dâĂ©viter tout rejet incontrĂŽlĂ© dans lâenvironnement extĂ©rieur. Ce confinement est assurĂ© par trois barriĂšres successives.
La premiĂšre barriĂšre se situe sur les assemblages de combustible (lĂ oĂč est lâuranium enrichi), une gaine en zirconium qui permet dâĂ©viter de dâisoler les produits de fission de lâeau du circuit primaire.
La seconde barriĂšre est le âcircuit primaire fermĂ©â, fermĂ© car câest une boucle, les gĂ©nĂ©rateurs de vapeur constituent une interface dâĂ©change thermique (pas dâĂ©change de matiĂšre) qui empĂȘche les Ă©lĂ©ments radioactifs de sortir. Si on a une rupture de gaine, les Ă©lĂ©ments radioactifs sont maintenus dans le fluide primaire, ce nâest pas une situation normale, mais au moins on ne rejette rien.
La troisiĂšme est lâenceinte du BĂątiment RĂ©acteur (BR), qui assure le confinement si les deux barriĂšres prĂ©cĂ©dentes ont Ă©chouĂ©. Imaginez quâon ait des ruptures de gaine de combustible et une fuite dans le circuit primaire, alors tout doit rester confinĂ© Ă lâintĂ©rieur de la structure. Cette barriĂšre a Ă©tĂ© brisĂ©e lors des deux accidents nuclĂ©aires majeurs, Ă savoir Tchernobyl puis Fukushima-Daichii (classĂ©s niveau 7 de lâĂ©chelle INES).
Echelle INES, SĂ»retĂ© nuclĂ©aire : quâest-ce que lâĂ©chelle INES ? (lenergeek.com)
LâarrĂȘt automatique rĂ©acteur
Un point Ă©galement sur la rapiditĂ© dâarrĂȘt de la rĂ©action nuclĂ©aire, cela a lieu en quelques secondes ou minutes. On utilise les barres de contrĂŽle, constituĂ©es de matĂ©riaux neutrophages, cela permet dâarrĂȘter la rĂ©action au niveau neutronique (Ă noter que la baisse de tempĂ©rature augmente la rĂ©activitĂ© il faut donc injecter du bore dans le fluide primaire pour Ă©viter une reprise de la rĂ©action).
Les rĂ©acteurs VVER-1000/320 comme tous les REP exploitĂ©s par EDF disposent dâun dispositif dâArrĂȘt Automatique RĂ©acteur (AAR) qui consiste en une chute automatique des barres de contrĂŽle . Un arrĂȘt Ă chaud est la phase qui suit un AAR, «chaud» car le fluide primaire et le combustible (ainsi que lâinertie thermique des structures et la puissance des pompes primaires) ont besoin de temps pour refroidir. A Zaporijia, tous les rĂ©acteurs ont donc passĂ© lâĂ©tape de lâAAR.
Les barres de contrÎle permettent de stopper la réaction nucléaire. Source: Les mots (free.fr)
Les diffĂ©rents Ă©tats dâun rĂ©acteur nuclĂ©aire
- Fonctionnement en puissance ou marche de puissance intermĂ©diaire, le rĂ©acteur produit beaucoup de chaleur, et de lâĂ©lectricitĂ©, circuit primaire Ă plus de 300°C et 150 bars (petite barre grise en haut du graphe ci-dessous),
- ArrĂȘt Ă chaud, la rĂ©action nuclĂ©aire est Ă lâarrĂȘt mais le circuit primaire est encore chaud, le pressuriseur est diphasique (vapeur et liquide),
- ArrĂȘt Ă froid, la rĂ©action nuclĂ©aire est Ă lâarrĂȘt. La tempĂ©rature du circuit primaire a Ă©tĂ© abaissĂ©e Ă quelques dizaines de degrĂ©s et il est Ă pression atmosphĂ©rique, le pressuriseur est monophasique liquide. Passer en arrĂȘt froid nĂ©cessite une puissance rĂ©siduelle du combustible suffisamment faible (les Ă©changeurs de chaleur sont moins efficaces Ă mesure que la tempĂ©rature primaire baisse).
- CĆur dĂ©chargĂ©: le rĂ©acteur ne produit plus de chaleur, il nây a plus de combustible dans la cuve.
Pourquoi câest important ici ? Car la situation dâarrĂȘt dĂ©termine les besoins de refroidissement du circuit primaire, et donc le temps pour atteindre une situation stabilisĂ©e. Petite prĂ©cision, ici la puissance rĂ©siduelle est au premier ordre liĂ©e Ă la chaleur rĂ©siduelle produite par les produtis de fission des assemblages, et pas Ă la tempĂ©rature de lâeau du primaire.
Sachez quâil existe une classification officielle, que je nâutilise pas ici Ă des fins de simplification. Il existe 6 Ă©tats nommĂ©s de A Ă F (IRSN, p.259â260).
La piscine dâentreposage de combustible usĂ©
Câest une piscine, avec une source de chaleur interne qui vient des assemblages combustibles, on regarde Ă quel point elle est remplie. Câest important car les assemblages usĂ©s sont encore chauds (dĂ©croissance radioactive des produits de fission) et doivent aussi ĂȘtre refroidis. Il y a donc un besoin Ă©lectrique pour faire circuler lâeau de refroidissement.
Piscine de la centrale nucléaire de Gravelines
Situations accidentelles causées par des agressions externes
Que ce soit en cas de conflit armé, ou de phénomÚne naturels comme des inondations ou des séismes, il est important de regarder les points suivants.
- Etat dâarrĂȘt de chaque rĂ©acteur (chaud ou froid), pour Ă©valuer quel est le besoin Ă©nergĂ©tique pour le refroidissement du cĆur. Le temps est le meilleur alliĂ© face Ă la puissance rĂ©siduelle. Actuellement, sur le site de ZNPP, 5 rĂ©acteurs sur 6 sont en arrĂȘt Ă froid, et depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il reste donc environ 4MWth de puissance rĂ©siduelle par cĆur en arrĂȘt Ă froid. Pour le dĂ©tail des calculs, allez lire cette Ă©tude. Un rĂ©acteur est encore en arrĂȘt Ă chaud pour la production de chaleur des villes autour. Câest le rĂ©acteur n°6, qui est surveillĂ© de trĂšs prĂšs par lâAIEA car câest celui qui nĂ©cessite le plus dâĂ©lectricitĂ© pour son refroidissement.
Evolution de la puissance rĂ©siduelle dâun cĆur de 3 000 MWth de puissance nominale aprĂšs un arrĂȘt en fin de cycle. ( SFEN )
- Alimentation Ă©lectrique externe (lignes 330 & 750kV, 20 groupes Ă©lectrogĂšnes de secours de 6,6 kV chacun), pour alimenter les circuits de refroidissement. LâIRSN a dâailleurs soulevĂ© un point important sur les VVER-1000, la source de refroidissement ultime ne dispose pas dâune autonomie suffisante en accidentel, dâoĂč lâintĂ©rĂȘt de garder lâalimentation externe. Il est important de noter que depuis peu de temps, deux groupes Ă©lectrogĂšnes bunkerisĂ©s et donc protĂ©gĂ©s contre les actes de malveillance, sont installĂ©s Ă la ZNPP. Depuis lâaccident de Fukushima, les centrales se sont adaptĂ©es en cas de situation de perte totale dâalimentation Ă©lectrique, et disposent de moyens mobiles dâappoint en eau et en Ă©lectricitĂ©. ConcrĂštement, un camion avec une pompe thermique (Ă eau) est capable dâalimenter les gĂ©nĂ©rateurs de vapeur en eau froide, Ă partir dâune source froide Ă distance raisonnable du rĂ©acteur, pendant 3 jours. Cela peut sâavĂ©rer utile pour le rĂ©acteur en arrĂȘt Ă chaud. Il existe aussi âun groupe Ă©lectrogĂšne mobile, montĂ© lui aussi sur un camion (3 jours dâautonomie).
Sur les REP français, comme sur les VVER, lâalimentation Ă©lectrique externe est essentielle Ă la sĂ»retĂ© et le systĂšme prĂ©sente de nombreuses voies indĂ©pendantes et redondantes. Comme les 6 rĂ©acteurs de Zaporijia sont en situation dâarrĂȘt, il nâest pas nĂ©cessaire dâĂ©tudier le transitoire dâĂźlotage (capacitĂ© dâun rĂ©acteur Ă sâisoler du rĂ©seau Ă©lectrique tout en passant en fonctionnement autonome Ă puissance rĂ©duite).
Principe de lâalimentation Ă©lectrique dâune centrale française de type REP ( IRSN )
- Remplissage du cĆur, pour savoir sâil reste une chaleur rĂ©siduelle Ă Ă©vacuer. Ce point est trĂšs liĂ© au point 1, puisquâil sâagit de savoir quels sont les besoins en refroidissement pour le circuit primaire. Il serait pertinent de vider les cĆurs de leurs assemblages, ainsi que les piscines, pour Ă©viter tout risque radiologique. Câest Ă©videmment trĂšs compliquĂ© dans un contexte de guerre. Surtout que cela reprĂ©sente un volume de combustible trĂšs important, et une logistique complexe. Et certains assemblages sont trop chauds pour ĂȘtre Ă©vacuĂ©s. Dâailleurs, si vous connaissez bien lâaccident de Fukushima-Daiichi, vous pouvez rĂ©torquer que le rĂ©acteur 4 avait pourtant un cĆur vide, et a explosĂ© malgrĂ© tout. Mais câest parce que lâhydrogĂšne du rĂ©acteur 3 sâest infiltrĂ© dans le 4 via une conduite commune.
- Remplissage des piscines du combustible usĂ©, pour Ă©valuer quel est le besoin Ă©nergĂ©tique pour le refroidissement de la piscine. (Article Ă ce propos). Câest un point souvent nĂ©gligĂ©, voire oubliĂ©. Or les matiĂšres radioactives du bĂątiment combustible ont elles aussi besoin dâĂȘtre refroidies aprĂšs un cycle dans le cĆur, les produits de fission dĂ©gagent encore une chaleur rĂ©siduelle quâil faut Ă©vacuer, sous peine dâĂ©vaporer lâeau des piscines, ce qui mĂšnerait Ă une fusion des assemblages combustibles. A Fukushima-Daiichi, il y avait 1300 assemblages dans la piscine (environ 3 cĆurs) du rĂ©acteur n°4. Or lâenceinte de confinement, qui contient le bĂątiment combustible, Ă©tait endommagĂ©e. Et une fusion de ces assemblages aurait incontestablement menĂ© Ă un dĂ©gagement trĂšs important de radionuclĂ©ides dans lâenvironnement. Un article qui dĂ©taille la situation Ă Fukushima. Ces Ă©vĂšnements ont menĂ© Ă la crĂ©ation de la Force dâAction Rapide NuclĂ©aire (FARN), pour assurer des appoints en eau, air et en Ă©lectricitĂ© (elle a dâautres rĂŽles dĂ©taillĂ©s ici ). Quelle est la situation des piscines de la ZNPP? Il semblerait quâil y ait prĂšs de 3400 assemblages combustibles entreposĂ©s sur site (article de Reuters). Câest beaucoup, et une perte dâeau de refroidissement des piscines pourrait mener Ă des rejets importants.
« Selon une communication de lâUkraine Ă lâAIEA en 2017, il y avait 3 354 assemblages de combustible usĂ© dans lâinstallation de combustible usĂ© sec et environ 1 984 assemblages de combustible usĂ© dans les piscines. »
Jâajoute quâil y a Ă©galement des stockages «à sec» sur le site, on ne le fait pas en France, mais ailleurs dans le monde cela est pratiquĂ©. Lâavantage de ces conteneurs est lâabsence de besoin en refroidissement par eau (pas besoin de pompe ni dâeau). En revanche, une explosion qui viendrait endommager pourrait conduire Ă des rejets de radionuclĂ©ides. Je ne connais pas la rĂ©sistance de ces conteneurs, je ne prononcerai pas sur leur comportement Ă proximitĂ© dâexplosion. En revanche la nature des dĂ©chets nuclĂ©aires stockĂ©s Ă lâintĂ©rieur permet dâestimer quâune explosion causerait une dispersion sur un rayon limitĂ©, une centaine de mĂštre environ dâaprĂšs Olivier Dubois adjoint du directeur de lâexpertise de sĂ»retĂ© de lâIRSN, dans cette vidĂ©o de lâExpress. Toujours depuis Fukushima, le site de ZNPP dispose dâune pompe thermique mobile autonome (autonomie de 3 jours), montĂ©e sur un camion, assurant un appoint en eau dans la piscine combustible pour compenser les pertes dâeau par vaporisation. Ci-dessous, lâintervention qui a «inspiré» les ingĂ©nieurs en sĂ»retĂ© nuclĂ©aire pour cette solution dâappoint pour la piscine. CâĂ©tait Ă Fukushima, sur lâunitĂ© n°4, pour les piscines combustibles.
Remettre de lâeau dans les piscines grĂące aux lances des pompiers, assez original comme systĂšme de refroidissement, mais dans ce genre de situation, on fait avec ce quâon peut.
- IntĂ©gritĂ© du circuit primaire et du bĂątiment rĂ©acteur, pour prĂ©voir dâĂ©ventuels rejets extĂ©rieurs. On peut imaginer un endommagement du bĂątiment rĂ©acteur par des missiles (ils va en falloir des costauds), est-ce problĂ©matique ? Oui, en situation accidentelle, car cet impact pourrait fragiliser la structure. Maintenant si on imagine (scĂ©nario trĂšs improbable) que le missile arrive Ă traverser lâenceinte du BR, alors il faut voir quel est lâĂ©tat des piĂšces Ă lâintĂ©rieur. On parle dâun missile capable de transpercer 2.4m de bĂ©ton armĂ©, disposer dâune telle arme est peu courant. Il faut vraiment le faire exprĂšs. On peut aussi dire que Ă©tant donnĂ© la taille des BR, il est peu probable dâendommager toutes les structures de sauvegarde, et lâavantage du VVER-1000 est quâil prĂ©sente une triple redondance des systĂšmes de sauvegarde (comme lâEPR), on peut donc imaginer un scĂ©nario oĂč on aurait 2 systĂšmes de sauvegarde indisponibles, le dernier prendrait alors le relai.
Enceinte du bùtiment réacteur n°4 aprÚs une frappe, novembre 2022 (Wikipedia)
Il est Ă©galement important de prĂ©ciser que les Russes ont stockĂ© du matĂ©riel militaire dans le bĂątiment de la turbine (circuit secondaire, sans risque radiologique). Ce sont des explosifs de combat, pas des anti-bunkers, une explosion dans cette zone causerait des dĂ©gĂąts irrĂ©versibles au secondaire, mais le risque radiologique serait trĂšs faible. Et lâendommagement du bĂątiment rĂ©acteur serait trĂšs limitĂ© Ă©galement.
Le bĂątiment secondaire est sĂ©parĂ© du BR, et nâest pas renforcĂ© en bĂ©ton armĂ©.
Les âstress testsâ sur les VVER
Il est Ă©galement important de prĂ©ciser que la sĂ»retĂ© sâamĂ©liore avec le temps, et la centrale nuclĂ©aire de Zaporijia ne fait pas exception. Pour les plus curieux, vous trouverez la liste des âstress testâ auxquels elle a Ă©tĂ© soumise (ĐХйУĐ). Câest le retour dâexpĂ©rience des trois prĂ©cĂ©dents accidents nuclĂ©aires (Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima-Daichii) qui est utilisĂ© principalement pour dĂ©terminer ces rĂ©sistances.
Les besoins actuels des réacteurs de Zaporijia
Le besoin principal qui focalise lâattention de tous les techniciens et ingĂ©nieurs sur place est lâalimentation Ă©lectrique externe. Câest le point dâintĂ©rĂȘt de lâAIEA le plus critique. Dans son point de situation du 15/05/2023 lâIRSN explique :
« Une seule ligne dâalimentation Ă©lectrique de 750 kV est actuellement opĂ©rante pour assurer le fonctionnement des systĂšmes de refroidissement des assemblages combustibles. En cas de dĂ©faillance de cette alimentation Ă©lectrique, 20 groupes Ă©lectrogĂšnes de secours sont disponibles pour prendre le relai et assurer lâalimentation Ă©lectrique de la centrale. »
La centrale possĂšde 4 lignes dâalimentation externe de 750kV, dâaprĂšs les informations disponibles Ă lâheure actuelle, une seule fonctionne parfaitement. Concernant les groupes Ă©lectrogĂšnes de secours, la ZNPP a besoin de personnel pour la maintenance, de piĂšces dĂ©tachĂ©es, et Ă©videmment, de combustible pour les alimenter. PrĂ©cisons Ă©galement que lâapprovisionnement en combustible serait plus aisĂ© par lâouest, la zone Ă©tant sous contrĂŽle ukrainien, mais le site demeure encore sous contrĂŽle russe.
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La centrale a Ă©galement besoin dâune source froide pour Ă©vacuer la puissance rĂ©siduelle, la rĂ©cente attaque du barrage de Kakhovka montre que la source froide habituelle est menacĂ©e, le niveau dâeau baisse dâenviron 5cm par heure. Le site de Zaporijia est conçu en temps normal pour utiliser le rĂ©servoir âcooling pondâ comme rĂ©servoir tampon pour sâaffranchir des variations de dĂ©bit du fleuve Dniepr. Les rĂ©acteurs Ă©tant Ă lâarrĂȘt on utilise un systĂšme dâĂ©vacuation de la chaleur par air, oĂč lâeau est projetĂ©e via des âsprinklersâ. Il faut compenser cette perte dâeau par Ă©vaporation par un appoint en eau, et cet appoint en eau peut suffire quelques semaines selon lâIRSN (point de situation du 7 juin 2023), voire mois selon lâAIEA (DĂ©claration du directeur gĂ©nĂ©ral de lâAIEA).
Quelle temporalité ?
- Les lignes haute tension peuvent ĂȘtre rĂ©parĂ©es en une dizaine dâheures (retour dâexpĂ©rience depuis le dĂ©but de la guerre).
- Les rĂ©acteurs en arrĂȘt Ă froid comme en arrĂȘt Ă chaud Ă©tant Ă lâarrĂȘt dâun point de vue neutronique, la chaleur rĂ©siduelle et la tempĂ©rature du primaire sont les deux paramĂštres Ă surveiller. Le rĂ©acteur n°5, en AAC a besoin de plus de refroidissement, sous peine de voir la tempĂ©rature de son primaire monter, donc sa pression, jusquâĂ un seuil hors des limites usuelles dâexploitation du cĆur.
- Les générateurs diesel de secours permettent de tenir environ 15 jours avec les besoins actuels du site, limite en terme de combustible. Les générateurs ne sont pas conçus pour fonctionner plusieurs semaines non plus, il y aura des maintenance à réaliser. (Source)
- La fusion du cĆur pourrait ensuite intervenir sous 10 jours Ă compter de lâarrĂȘt de tous les gĂ©nĂ©rateurs diesel de secours (Source)
- Cela laisse donc 25 jours maximum pour anticiper la situation. Sachant que la situation commencera Ă se dĂ©grader dĂšs le 15e jour (faute dâapprovisionnement suffisant en carburant), oĂč les groupes Ă©lectrogĂšnes de secours seront Ă sec. Câest donc en rĂ©alitĂ© moins. Mais ce dĂ©lai est bienvenu malgrĂ© tout, il permet une Ă©ventuelle intervention dâurgence. Le temps est le pire ennemi quand on a un rĂ©acteur en arrĂȘt chaud. Pour prendre un cas similaire, ce qui sâest passĂ© Ă Fukushima peut se rĂ©sumer assez simplement, lâarrĂȘt automatique rĂ©acteur qui a immĂ©diatement suivi la dĂ©tection du sĂ©isme sâest dĂ©roulĂ© comme il le fallait, le problĂšme a Ă©tĂ© dâĂ©vacuer la puissance rĂ©siduelle. Les opĂ©rateurs nâont pas rĂ©ussi cette mission.
- PassĂ© ce dĂ©lai, une fusion du cĆur des rĂ©acteurs est possible, sur 6 rĂ©acteurs en simultanĂ©. Ces fusions mĂšneraient incontestablement Ă des rejets massifs. La prĂ©sence de recombineur Ă hydrogĂšne passifs (qui nâont pas besoin dâĂ©lectricitĂ©) est plutĂŽt rassurante pour Ă©viter un endommagement de la troisiĂšme barriĂšre (ce qui nâĂ©tait pas le cas Ă Fukushima).
- Quelques temps aprĂšs la fusion des cĆurs de rĂ©acteurs va aussi se poser la question des piscines de combustible usĂ©. Elles ont aussi besoin dâĂȘtre refroidies.
- Le VVER-1000 ne dispose pas dâun rĂ©cupĂ©rateur Ă corium contrairement au VVER-1200 (critĂšre de sĂ»retĂ© de la 3e gĂ©nĂ©ration, comme sur lâEPR), ce qui rend le risque de contamination externe plus important. Au delĂ dâĂ©vacuer le corium dans un endroit pour le refroidir, lâintĂ©rĂȘt du core catcher est dâĂ©viter lâ explosion de vapeur (forte chaleur et eau liquideâŠ), donc cela participe Ă une prĂ©servation de la structure du BR.
Un besoin essentiel est Ă©galement celui dâavoir du personnel qualifiĂ© sur place, et le contexte de guerre nâaide pas. Une centrale sĂ»re sans humains nâexiste pas, et le stress constant auquel sont soumises les Ă©quipes ne favorise pas un environnement sain pour travailler dans une centrale nuclĂ©aire.
Ce dĂ©lai de 25 jours (grand maximum) est crucial, car si les autoritĂ©s mondiales savent, grĂące aux informations de lâAIEA, que la centrale de Zaporijjia a absolument besoin dâĂ©lectricitĂ©, cela laisse du temps pour rĂ©flĂ©chir Ă un plan dâaction urgent. Et donc toute forme dâopposition Ă une aide technique internationale serait considĂ©rĂ©e comme criminelle. Dâautant que les alimentations Ă©lectriques ont toujours Ă©tĂ© rĂ©parĂ©es, au prix de nombreuses vies, dans des dĂ©lais records.
Quels rejets ?
Les rĂ©acteurs Ă©tant tous Ă lâarrĂȘt, la dĂ©croissance radioactive a fait son effet sur le combustible. La dĂ©croissance radioactive est un phĂ©nomĂšne naturel qui caractĂ©rise la baisse du nombre de noyaux instables dans un Ă©chantillon de matiĂšre. LâIRSN explique :
« Compte tenu des dĂ©lais importants depuis lâarrĂȘt du dernier rĂ©acteur, les rejets en iode notamment, bien quâimportants, seraient bien plus faibles que pour un rĂ©acteur en fonctionnement, du fait de la dĂ©croissance radioactive. La fusion du combustible entreposĂ© dans la piscine, situĂ©e dans lâenceinte de confinement du rĂ©acteur, interviendrait ensuite, entraĂźnant des rejets supplĂ©mentaires. »
Pour comprendre de phĂ©nomĂšne de dĂ©croissance, une courbe sur lâaccident de Fukushima. On voit quâil suffit dâune quarantaine de jours Ă lâIode-131 pour diviser son activitĂ© par 10, ce qui est la situation des cinq rĂ©acteurs de ZNPP en arrĂȘt Ă froid. Donc si un accident devait se produire sur un des rĂ©acteurs en arrĂȘt Ă froid, les comprimĂ©s dâiode distribuĂ©s en cas dâaccident ne serviraient strictement Ă rien.
LâIode-131 â laradioactivite.com
Il est impossible (Ă lâheure actuelle) de faire une modĂ©lisation fidĂšle Ă la rĂ©alitĂ©, des rejets de radionuclĂ©ides, cela dĂ©pend de la sĂ©vĂ©ritĂ© de lâaccident, de la durĂ©e des rejets et de la mĂ©tĂ©o (selon les vents dominants et les pluies).
Panache radioactif de Tchernobyl.
Il existe une modĂ©lisation dĂ©jĂ assez ancienne, elle est intĂ©ressante pour expliquer la dispersion du nuage, mais câest simplement pour donner une idĂ©e. Maintenant, si la situation devait empirer, une modĂ©lisation des rejets sera Ă©tablie par les experts en peu de temps, sur la base des informations mĂ©tĂ©orologiques disponibles.
Conclusion
Ce ne sont pas les tirs de missiles sur le bĂątiment rĂ©acteur quâil faut craindre, mais la perte totale dâalimentation Ă©lectrique externe. Les explosifs sont bien plus susceptibles de venir endommager les conteneurs de dĂ©chets radioactifs secs et les piscines combustibles. La situation est stable tant que cette ligne de 750kV est connectĂ©e aux 6 rĂ©acteurs, et les diesels de secours sont prĂȘts Ă prendre le relai, Ă condition dâavoir un approvisionnement suffisant en carburant, et ce nâest pas une solution durable sur le temps long.
La situation est unique, mais nâa rien dâun accident nuclĂ©aire, cela dĂ©pend de beaucoup de facteurs encore incertains. Depuis 15 mois la centrale est au cĆur dâun conflit intense et les Ă©quipes sur place ont toujours maitrisĂ© les situations incidentelles en des temps records.
De plus, la prĂ©sence permanente dâĂ©quipes de lâAIEA sur place permet dâavoir des informations fiables en temps rĂ©el, et ces informations sont communiquĂ©es Ă lâensemble des experts techniques de la sĂ»retĂ© nuclĂ©aire du monde entier. Ces informations sont prĂ©cieuses.
Quelques derniers rappels avant de terminer :
- Utiliser une centrale nuclĂ©aire pour stocker des armes est irresponsable, sâen servir de bouclier lâest tout autant.
- Une centrale nuclĂ©aire nâest pas ni une cible, ni une arme. Se rĂ©fĂ©rer Ă lâarticle 56 du protocole additionnel aux Conventions de GenĂšve du 12 aoĂ»t 1949 relatif Ă la protection des victimes des conflits armĂ©s internationaux (Protocole I) : «Les ouvrages dâart ou installations contenant des forces dangereuses, Ă savoir les barrages, les digues et les centrales nuclĂ©aires de production dâĂ©nergie Ă©lectrique, ne seront pas lâobjet dâattaques, mĂȘme sâils constituent des objectifs militaires».
- Dans un conflit armĂ©, lâennemi vise dâabord le rĂ©seau, bien plus simple Ă dĂ©truire car plus fragile. Prendre le contrĂŽle du site de Zaporijia est stratĂ©gique pour dĂ©stabiliser lâUkraine. Câest en tant quâinstallation Ă©lectrique de grande puissance que cette centrale fait lâobjet de tant dâattention, pas en tant quâobjet nuclĂ©aire. Un article Ă ce propos. Ukraineâs Vulnerable Power Grid â Geopolitical Futures.
- CâĂ©tait assez exhaustif, Ă dessein, je ne peux pas faire Ă la fois trop technique et accessible, il faut nĂ©cessairement trouver un juste milieu.
Je tiens Ă conclure cet article en rendant hommage aux travailleurs et travailleuses du site de Zaporijia, qui ont pour beaucoup dĂ©jĂ sacrifiĂ© leur vie pour rĂ©tablir cette liaison Ă©lectrique, ils se battent au quotidien pour protĂ©ger lâEurope.
Publié en Juin 2023.